Article paru en janvier 2006 dans la revue Navires et marine marchande. Auteur: Claude Tarin
Trouver la forme de carène optimale. Quarante ans durant, Dominique Paulet n'aura eu de cesse d’adapter des nouveaux profils de bateaux, petits et grands, aux contraintes du principe d’Archimède. Et pour cause : il a exercé la profession d ’architecte naval. Portrait.
Architecte naval, par simple atavisme. Ainsi pourrions nous présenter Dominique Paulet, arrière petit fils d’Antoine de Fréminville et petit fils d’Arthur Krebs. Le premier était ingénieur naval à l’arsenal de Lorient et professeur à l’école du Génie maritime. On lui doit un Traité Pratique de la construction navale, publié m 1864. Le second, ex-Saint-Cyrien, est l'inventeur du carburateur et du volant. Non content de s’attaquer au plus léger que l’air avec le ballon dirigeable, Arthur Krebs, gendre d'Antoine de Fréminville, s’est également intéressé à la marine, notamment à travers le Gymnote, le premier sous-marin opérationnel. Avec une telle ascendance, Dominique Paulet ne pouvait que confirmer son appétence pour le dessin des bateaux. Une passion qui l’amènera à ne pas prendre le sillage d’un père qui eut quand même la bonne idée de donner à sa conserverie de Douarnenez, l’image de marque “Petit Navire”. Et c’est ainsi que Dominique Paulet, 74 ans, s’honore d’avoir pu mettre à l’eau une foultitude de bateaux, de la simple embarcation au grand car-ferry en passant par le voilier, le navire de pêche et la vedette à passagers. “À l'époque de mon arrière-grand-père, on venait tout juste d’inventer l’hélice et s’il s’agit d’une époque révolue dans bien des aspects de la construction navale, il subsiste des formules de stabilité qu’il nous faut toujours prendre en compte.”
L’éclectisme aura donc marqué une carrière, démarrée en 1954, après un cycle d’études spécialisées à l’École centrale de Nantes, aux Chantiers de Normandie de Grand Quevilly, alors filiale des Chantiers de Penhoët. “En fait, précise Dominique Paulet, j’avais d’abord été embauché par les Forges et chantiers de la Méditerranée du Havre, en 1953. On travaillait à cette époque sur l’hélice à pâles orientables. Six mois après, j’apprenais que le Chantier de Normandie recherchait un ingénieur de projet. J’ai sauté le pas.” Cette carrière se sera achevée aux commandes de la Société bretonne d’études et de réalisations navales, la Sbern de Lorient, de 1984 à 1993, année de la retraite. Entre-temps, Dominique Paulet aura travaillé pour le compte des Chantiers et ateliers de La Perrière, à Lorient (1960-1970), puis, à nouveau à Grand Quevilly, aux Chantiers Dubigeon de Normandie, ex-Chantiers de Normandie (1970-1980), et, durant un court intermède (1980-1983) à l’arsenal de Lorient. Différentes étapes qui lui ont permis d’aborder à peu près tous les types de bateau, autorisé à communiquer son savoir, en enseignant dans les grandes écoles, et à produire un ouvrage sur l’architecture navale, en collaboration avec Dominique Presles, également architecte naval.
Pour Navires & marine marchande, Dominique Paulet a bien voulu ouvrir le livre de sa mémoire, pour nous parler des navires qui ont le plus marqué sa carrière. C’est à Lorient que ce natif de Quimperlé coule une paisible retraite, mais la passion est toujours vive. Après avoir enseigné son art, Dominique Paulet est souvent appelé à tenir le rôle d’expert pour tenter de comprendre les raisons d un sinistre maritime. Les derniers en
date : Number One, îles du Ponant, Beau-Rivage et... Erika.
Foulaya: entre pommes et bananes
Le Foulaya, un “bananier" construit en 1956 pour le compte de la Compagnie de Navigation Fruitière, constitue assurément le premier coup de cœur. Dominique Paulet travaille déjà depuis un an pour le compte des Chantiers de Normandie de Grand Quevilly, quand on lui confie ce projet. “Ce chantier n ’avait jamais construit de bananiers. Avec le sous directeur, je suis allé à Dieppe pour visiter des navires affectés à ce type de trafic.”
C’est son premier contact avec une contrainte spécifique à ce type de transport, la température des cales réfrigérées.“À 12° la banane
gèle. À 14°, elle mûrit et pourrit. Il y a un degré de marge". D’où la nécessité de concevoir des centrales frigorifiques et des gaines de ventilation bien adaptées. "Nous n'avons rien inventé, s’empresse de préciser Dominique Paulet, mais il nous a fallu assimiler des principes. Ne serait-ce que pour pouvoir répondre à la demande du client, demande qui intégrait aussi le transport de pommes, en provenance du Canada. “Or la pomme pèse beaucoup plus lourd que la banane. Il nous a fallu calculer la flottaison avec le chargement le plus lourd. Qui peut le plus peut le moins. " Et le navire flotta.
À un détail près cependant, lequel vaudra à Dominique Paulet quelques reproches par la suite. Avec un chargement de bananes dans la cale avant, le Foulaya avait la fâcheuse tendance de naviguer le nez en l’air. “J’aurais dû modifier la répartition des cales de manière à ce que le centre de gravité se déplace moins entre le chargement en pommes et le chargement en bananes. En concevant par exemple un navire avec deux cales avant et deux cales arrière." Une légère erreur d’appréciation qui n’obère en rien le bon souvenir que lui a laissé ce premier navire issu de sa planche à dessin. Appelé par la suite à honorer ses obligations militaires, Dominique Paulet accrochera une photo du Foulaya dans sa chambrée. “C’est un navire qui avait une jolie carène”. C’était un cargo qui devait également pouvoir disposer d’une bonne vitesse de propulsion. Lors de ses premiers essais en mer, en février 1956, le Foulaya réalisait 17,90 nœuds à 80 % de puissance du moteur et 19,40 nœuds à 100 % de puissance, ce qui dépassait sensiblement la vitesse prévue au contrat. Par la suite, les Chantiers de Normandie construiront d’autres bananiers et mettront au point un système de ventilation innovant.
Compiègne:
Un lancement d'abord simulé
De son premier passage à Grand Quevilly Dominique Paulet garde très présent à l’esprit le Compiègne, un car-ferry construit pour le compte de la Société nationale des Chemins de fer français. Pour ce navire, son intervention se sera limitée au dessin du plan de forme. “C'était un navire intéressant à concevoir. Il fallait innover en intégrant des entreponts complets pour les voitures.” Une première approche qui lui sera grandement utile quand, comme nous le verrons un peu plus loin, il lui aura fallu transposer sur des unités plus petites. Mais ce sont surtout les opérations de lancement qui réveillent le souvenir de ce navire. “Un lancement, c’est très compliqué. Il y a un problème d'hydrostatique et un problème mécanique à prendre en compte. Il faut composer avec l’effort de retenue, le poids du navire, le poids du ber, la charge sur couettes, la pression par centimètres carrés, l'effort au brion. C’est tout un jeu de combinaisons entre le principe d’Archimède et le poids du navire. On procède à des calculs de poussée sur chaque point de la cale". Pour amener en toute sécurité le Compiègne à prendre contact avec son élément, Dominique Paulet aura eu la charge, et visiblement le plaisir, de procéder à un lancement simulé. “J’ai notamment calculé à l’avance les frottements." Une précaution qui avait également pour but de mettre en œuvre tous les moyens qui éviteraient à la coque de s’en venir heurter la berge, de l’autre côté de la Seine. “Les cales du chantier, précise Dominique Paulet, avaient ôté conçues pour des lancements au suif. Or nous en étions aux graisses synthétiques. Ce qui a eu pour effet d'affaiblir le coefficient de frottement et, de ce fait, d'augmenter la vitesse de glissement du navire." Et comme il ne pouvait être question de réduire la pente, compte tenu des investissements financiers que de tels travaux d’aménagement auraient engendrés, il aura donc fallu faire avec l’existant, moyennant quelques astuces validées par les calculs préalables. “Nous installions un panneau, le masque, à l’arrière ainsi que plusieurs paquets de chaînes attachés à la coque, traînant sur le sol. Par l’emploi du nylon au lieu et place des anciennes cordes en chanvre on s’est prémuni des bosses cassantes. Mais pour le Compiègne, il s’agissait surtout de procéder au mouillage des ancres dès la sortie de cale de la coque, avec juste ce qui faut de longueur de chaînes." Dominique Paulet se revoit sur l’avant du car-ferry. Il était à poste pour donner l’ordre du mouillage. “J’ai donné le top et tout s’est passé comme prévu". La longueur de chaînes indiquée était la bonne.
Guerveur:
"Un ferry de poche"
Le transbordeur des îles du Morbihan, livré à la Compagnie Morbihanaise de Navigation en 1966 est assurément le navire auquel Dominique Paulet reste passionnément attaché. C’est en quelque sorte son navire fétiche. Quand il rejoint les Chantiers et ateliers de La Perrière de Lorient, l’architecte naval a alors derrière lui six années de présence au Chantier de Normandie de Grand-Quévilly. À bientôt 30 ans, il est apte à coiffer le titre d’ingénieur en chef. Ce qui lui vaut d’avoir la charge de prendre les commandes, de concevoir les navires et de faire tourner le bureau d’études chargé de fournir les plans pour la construction. Les Chantiers et Ateliers de La Perrière, par ailleurs spécialisés dans le bateau de pêche, ont hérité dans les années 60 d’un grand nombre de courrier des îles, mais avec le Guerveur il va s’agir de s’éloigner du type cargo. La direction de la Morbihanaise de Navigation attend qu’on lui propose un nouveau type de transbordeur. Ce sera “un ferry de poche"
“Personne n’avait encore réalisé un navire de ce type pour une si petite taille." Comparé au Compiègne, le futur Guerveur faisait pâle figure avec ses 45 m de long. Mais en matière de construction navale ce n’est pas tant la longueur qui compte que l’art et la manière d’aménager les espaces tout en répondant au cahier des charges fixé par l’armateur. Avec le Guerveur, Dominique Paulet n’est pas peu fier d’avoir en quelque sorte résolu la quadrature du cercle. Une conception "révolutionnaire" pour un navire de cette taille, doté d'un entrepont pour les voitures. “En plus, se souvient Dominique Paulet, il avait des ailerons, des stabilisateurs de roulis rétractables. C’est un bateau qui ne roulait pas."
Le poids des vaches
Un bateau pour lequel l'architecte naval se sera ingénié à accroître la rentabilité. Le projet intial portait sur un total de 25 voitures. “On a vu un peu plus large et porté sa capacité à 30 véhicules." Le Guerveur était programmé pour 500 passagers. Dominque Paulet a refait ses calculs et réussi à concevoir des espaces pouvant accueillir 610 personnes. “Ce bateau n’avait pas de défaut'' se félicite-t-il, tout en indiquant qu’il aura quand même fallu procéder à de légères retouches pour éliminer de trop fortes vibrations à l’arrière.
“Nous avons réussi à régler ce problème suite aux observations du capitaine du navire" raconte Dominique Paulet. "Ce dernier avait remarqué que le Guerveur ne vibrait plus lorsqu'il transportait des vaches. Or ces vaches étaient regroupées à l’arrière du navire, pour diminuer le stress. C'est à l'arrière que le bateau remue le moins. Du coup, la solution au problème était évidente. Il s’est agi d'installer un ballast à l’arrière dont le contenant équivalait au poids d’un troupeau de vaches." Et c’est tout juste, si quarante après, Dominique Paulet ne s’en vient pas, en bon disciple d’Archimède, à pousser à son tour un “eureka” de satisfaction.
“Pour le Guerveur, ajoute-t-il, j’ai eu les coudées franches pour proposer une conception nouvelle. Et ça a très bien marché. Nous avons construit dans la foulée, l'Acadie." Et de se féliciter de voir que le Guerveur est toujours dans ses lignes d’eau.
Alexande Rougier:
"Un bateau extrème"
Autre souvenir marquant de la décennie passée aux Chantiers et ateliers de La Perrière, l'Alexandre Rougier, construit en 1970 pour le compte de la compagnie Rougier. Marquant par l’originalité du concept d’un navire appelé à charger des grumes dans les lagunes africaines. À charge pour lui de les transporter jusqu’à l’embouchure. Le pont de chargement de l'Alexandre Rougier a été conçu pour pouvoir supporter une charge de 19 tonnes sur l’essieu avant d’un chariot à fourche de 10 tonnes de charge utile. Il était doté d’une rampe articulée à l’arrière pour l’accès du chariot, de ballasts permettant la mise en assiette.
Le tirant d’eau était très réduit pour passer les seuils de lagunes. “C’était vraiment un bateau extrême, tellement plat, presqu’un ponton propulsé.” Il aura fallu régler sur ce bateau un problème de rendement d’hélice, l’eau n’arrivant pas bien. Avec à la clef de nouveaux essais en bassin de carènes qui ont confirmé le besoin de revoir la question “Il s’est agi de simuler une modification des formes arrière pour que l’eau remonte sous la voûte et alimente les hélices. Nous sommes allés sur place, en Afrique, procéder aux modifications que nous estimions nécessaires”, se souvient Dominique Paulet. “En arrondissant le talon du navire sur toute la largeur nous avons pu régler le problème.”
Internavis2:
Le transport de colis lourd
Avec l'Internavis 2, l’architecte naval va avoir l’occasion de se frotter à un type de navire que les chantiers français n’ont pas encore intégré dans leur savoir faire. Nous sommes à la fin des années 1970. Dominique Paulet a de nouveau rejoint le Grand Quevilly. Il travaille pour le compte des Chantiers Dubigeon Normandie qui ont pris la relève du Chantier de Normandie. Internavis 2 est une commande de la Compagnie maritime française Internavis, filiale de la Société anonyme de gérance et d’armement, plus communément appelée Saga. Cette compagnie a déjà fait, en 1975, l’acquisition d’un navire de ce type construit, quant à lui, en Allemagne, au chantier Schlichting de Lübeck-Travemünde. Le projet concocté par Dominique Paulet est légèrement moins grand (99, 80 m contre 105,40 m), mais s’inspire globalement des mêmes principes, puisqu’il s’agit de concevoir un navire appelé à charger par un côté des charges extrêmement lourdes. Les opérations de chargement et de déchargement de colis lourds, sans précautions particulières, entraîneraient une gîte excessive du navire, au point de le faire chavirer. “C'est pourquoi il est prévu des ballasts latéraux, niais ils ne règlent pas complètement le problème, d'où le recours à des jambes de force." Ces supports télescopiques horizontaux s’appuient sur le quai. Il est indispensable que ces deux jambes restent en contact du sol et le ballastage continue à jouer un rôle pour assurer la permanence de l’appui. “ La conduite de l'opération coordonnée des mouvements des bigues et du réglage des ballasts est délicate.” Dominique Paulet, après des calculs, stade par stade, produira un mode d’emploi suffisamment précis.
Plus petit, mais plus massif dans son allure que son prédécesseur, l'Internavis 2 va cependant recourir à des choix technologiques différents. Le programme imposé conduira au projet d’un navire à cale unique, équipé de deux bigues spécialement conçues par le chantier alors que pour l’Internavis 1, navire à deux cales, ce sont des bigues Stülcken qui avaient été retenues. Moins puissantes que ces bigues Stucken, capables de soulever en couple une charge maximum de 700 tonnes, le navire positionné à quai, les bigues de l'Internavis 2 n’en affichaient pas moins des performances appréciables puisque chacune pouvait soulever une charge maximale de 220 tonnes. Le Chantier Dubigeon Normandie avait l’avantage de posséder un département de constructions industrielles et une forte compétence en engins de levage lourds.
Une expérience somme toute nouvelle et originale dans la carrière de Dominique Paulet qui se félicitera peut-être de savoir que ce navire, très rapidement vendu à des intérêts étrangers, continue, après avoir plusieurs fois changé de main, à figurer dans les registres. L'Internavis 2 porte présentement le nom d'Aspendos. Il appartient à un armateur turc et navigue sous pavillon Saint-Vincent.
Le Pen Duick IV d'Eric Tabarly
A ces bateaux professionnels sont venus s’ajouter d’autres satisfactions, les Chantiers et ateliers de La Perrière ayant cherché à tirer profit du grand vent de la démocratisation de la voile. Là encore, Dominique Paulet peut se targuer d’un réel savoir faire, après avoir dessiné pour lui-même l'Étincelle de 6,4 m. Sous son égide, le bureau d’études aura donné naissance à un Ketch aluminium de 34 m, le Talofa ainsi qu’aux Licorne et Farewell, des petits voiliers de 4,7 m et 8 m de coque, qui donneront lieu à des séries. L’architecte naval est surtout fier de ce Farewell “qui se sera imposé dans de nombreuses régates”. Et qui aura en quelque sorte servi de produit d’appel pour qu’un certain Éric Tabarly s’en vienne, un jour frapper à la porte de son bureau.
Le lieutenant de vaisseau est déjà célèbre. Sa victoire dans la Transat anglaise en 1964, à bord du Pen Duick II l’a révélé au grand public. Les Chantiers et ateliers de La Perrière seront partie prenantes dans la construction de trois de ses navires. Le Pen Duick III, un monocoque aluminium lancé en mai 1967, le Pen Duick IV, qui va marquer l’avènement du multicoque un an plus tard, puis le Pen Duick V, un nouveau monocoque équipé de ballasts pour augmenter la stabilité.
Avec le Pen Duick III, Éric Tabarly va obtenir de nombreuses victoires. “Ce n’est pas moi qui l’ai conçu” précise Dominique Paulet. De fait, c’est le Pen Duick IV qui va l’amener à s’intéresser à un type de bateau, révolutionnaire pour l’époque. “ Tabarly est revenu nous voir en septembre 1967. Il voulait un multicoque pour participer à l’Ostar, la Transat anglaise de 1968. Il ne pouvait alors nous donner ni la taille, ni le nombre de coques, n ’ayant pu alors boucler son financement. Paris Match et Radio Télévision Luxembourg ayant accepté de financer le projet, moitié pour moitié, nous avons pu lancer les études sur un trimaran de 20 m, que nous jugions plus sûr qu'un catamaran. Le premier plan a été dessiné par André Allègre, architecte naval spécialiste des petits trimarans, mais Pen Duick IV aura de fait été la résultante du travail de toute une équipe.”. Dominique Paulet, qui en sera le chef d’orchestre, a porté son attention sur la géométrie générale et plus particulièrement sur la structure des bras de laison. Il redessinera les flotteurs. Et le chantier sera mené à bien, “ dans des délais extrêment courts" puisque le Pen Duick IV sera livré en mai 1968.
Preuve de l’extrême capital de sympathie dont bénéficie alors Éric Tabarly, les ouvriers du chantier, quoi qu’engagés dans le mouvement de grève qui allait chambouler le pays, s’arrangeront pour que le Pen Duick IV puisse rallier Plymouth, en heure et en temps.
Cette course sera marquée par des déboires, une collision puis une avarie de mâts, mais la conception du navire ne sera jamais remise en cause. Revendu à Alain Colas en 1969, il gagnera en 1972, la quatrième édition de la Transat en solitaire. Il sera modifié en 1973 et rebaptisé Manuréva pour réaliser un tour du monde. Cinq années plus tard, Alain Colas et Manuréva disparaîtront au large des Açores, dans la première course du Rhum, sans laisser aucune trace.
Le souvenir de cet autre grand nom de la voile fait remonter à la mémoire le regret de n’avoir pas pu être que partiellement l’architecte de son Club Med. “ J’ai travaillé à la conception d’un voilier de 75 m, pour répondre au projet d’Alain Colas et après l’avoir guidé sur le choix de la Iongueur, mais les Chantiers Dubigeon Normandie n’ont pas voulu donner suite à cette commande."
Pour la course trans-Pacifique, Éric Tabarly désirait un monocoque particulièrement performant au vent arriéré. La longueur était limitée à 10,67 m. Il a demandé un projet à Michel Bigoin, avec lequel Dominique Paulet a collaboré ensuite pour Club Med. “Comme d’habitude nous avons détaillé les plans en accordant le volume de carène à l’exactitude d’un poids correspondant à une structure aussi légère que possible." Innovant par son arrière large et ses ballasts latéraux, ce voilier, après avoir largement gagné la course à laquelle il était destiné, navigue toujours.
Ainsi d’ailleurs que le Pen Duick III. pour en savoir plus sur Tabarly et Lorient » Suivez ce lien
Autre bon souvenir qui se rattache à la voile : le voilier contreplaqué biquille Trebez » Suivez ce lien, une unité de 8,5 m construite pour le propre compte des chantiers Dubigeon Normandie. “Un voilier équipé de 2 ailerons de quille très fins".
L'avènement du pêche-arrière
Ce qui frappe chez Dominique Paulet c’est son éclectisme. Les bons souvenirs qui s’attachent aux navires dont nous venons de parler n’occultent en rien ceux qui relèvent de bateaux moins importants de par la taille ou n’ayant pas atteint le prestige du Peu Duick IV. “Qu’un bateau soit grand ou petit, il faut qu il soit stable et qu 'il fotte” aime-t-il à répéter. Dans la mesure où il lui aura fallu mettre en adéquation les exigences des promoteurs avec le principe d’Archimède, l’architecte naval aura vécu son métier avec une constante curiosité et une évidente jubilation. C’est ainsi qu’il aura également participé à la grande révolution du chalutage.
Alors en poste au Chantier de Normandie, Dominique Paulet va aborder ses premiers bateaux de pêche. “Il s’agissait encore de modèles de type ancien de chalutiers morutiers saleurs.” Le plus grand chalutier auquel il aura eu à s’intéresser sera le Zélande, une unité de 77 m, commande “Jusque vers 1960 tous les chalutiers manœuvraient leur filet latéralement. Le relevage était une opération essentiellement manuelle exercée sur tout un coté du bateau, et les marins étaient très exposés aux paquets de mer. Des améliorations variées ont été tentées, aboutissant pour les grands chalutiers au système à rampe, dans lequel le chalut est remonté depuis l'arrière et étalé sur la longueur disponible du pont."
Le premier bâtiment français ainsi équipé sera le navire océanographique Thalassa. Devenu musée flottant à Lorient, ce chalutier voué à la recherche a été lancé en 1961, aux Chantiers Dubigeon Normandie. Dominique Paulet avait alors rejoint les Chantiers et ateliers de La Perrière depuis un an. Ce chantier visait tout particulièrement les créneaux de la pêche et des “petits” bateaux à passagers. “Pour des chalutiers de petite taille, il fallait trouver autre chose”, explique-t-il.
En 1962 les Chantiers et ateliers de La Perrière lanceront le Paris-Bretagne, un chalutier équipé d’un portique oscillant Mac Gregor, réalisé sur la base d’un projet dessiné par l’architecte Guéroult. “J’ai mis au point ce bateau, mais je n ’en suis pas l’initiateur" souligne Dominique Paulet. “La disposition de la machine à l’avant, l'absence de zone de travail totalement abritée, la complication de mobilité du portique, ce n’était pas l'idéal. Aussitôt après, nous avons lancé l’étude d’un chalutier à portique fixe et machine arrière.” Et c’est ainsi que naquît le Cézembre, un chalutier de 33 m de long qui aura eu l’insigne honneur d’être le premier bateau de pêche français à être équipé d’un treuil hydraulique à bobines séparées. “J'ai apporté un soin particulier au tracé de la carène du Cézembre, qui reste une de mes créations préférées." Ce chalutier aura été le prototype de la grande famille des chalutiers encore actuels. Mais le chalutage arrière ne s’imposera pas immédiatement. Parallèlement au Cézembre le chantier lorientais construira 7 chalutiers de 30 m à pêche latérale - que l’on appelait plus communément chalutiers “classiques”-, 4 de 26 m et 2 de 23 m.
De retour à Lorient, après son deuxième séjour au Grand-Quevilly, Dominique Paulet va, à la barre de la Société bretonne d’études et de réalisation navales, continuer a plancher tous azimuts durant ses dix dernières années de vie professionnelle, passant du catamaran à passagers à la vedette de pilotage tout en réfléchissant au navire sur coussin d’air sans oublier la plaisance et la pêche. La Sbern est à l’origine de nombreux chalutiers hauturiers et artisans, de fileyeurs, de caseyeurs et crevettiers. Bois, acier, polyester, là encore, il s’agit de pouvoir répondre à l’attente du client, mais, précise-t'il, “ à la pêche on ne fait jamais deux fois le même plan.”Un grand regret, que les thoniers à voiles, conçus au tout début des années 1980, pour répondre à la crise de l’énergie, n’aient pas réussi à convaincre. “Cette expérience était vouée à l'echec, non pas par la présence des voiles, mais parce que les promoteurs avaient voulu réaliser un bateau de pêche non chalutier de 19 m de longueur. À l'époque la rentabilité des purs ligueurs ou fileyeurs, en Bretagne Sud, n’était assurée que pour des unités plus petites”. À bien entendre Dominique Paulet, les essais de voilure de ces bateaux sans lendemain ont donné lieu “à des mesures quasi-scientifiques que l’on réalise rarement, même pour les voiliers de course.”
L'enseignement,
l'écriture et l'expertise
Toute cette carrière que nous venons d’évoquer se résume à un mot : la passion. Aujourd’hui encore, c’est cette passion pour le bateau qui permet à Dominique Paulet de conserver le pied marin. Ainsi, le livre qu’il a cosigné avec un autre architecte naval, Dominique Presles n’en finit pas d’intéresser. Publié une première fois en 1998, cet ouvrage pédagogique vient de faire l’objet d’une deuxième réédition, enrichie d’illustrations. Les tirages ne portent que sur quelques milliers d’exemplaires, mais c’est un travail qui a l’heur de plaire à celles et ceux qui s’intéressent à la construction des bateaux, tous types confondus, hormis les submersibles. Les deux hommes ont pour eux d’avoir mené en parallèle de leur activité d’architecte naval une carrière d’enseignant, dans cette spécialité. C’est à l’École centrale de Nantes, école où il fut lui-même élève, ainsi qu’à l’Ensieta et dans des écoles d’architecture que Dominique Paulet a dispensé son savoir-faire dans la conception navale. Avec Dominique Presles, il aura jugé utile de passer du polycopié à l’édition, en sachant rendre le tout attractif.
Il faut dire qu’il y a du Simenon, voire du Maigret chez Dominique Paulet. Son eternelle pipe porte d’emblée à la comparaison, mais sous le spécialiste des algorithmes l’écrivain a su percer. On se doit de citer ses tentatives vers une écriture romanesque. À son actif deux romans historiques, une biographie ''d'un authentique roi breton du Vie siècle" ainsi qu’un polar dont l’intrigue se déroule dans l’univers d’un chantier naval. À l’origine de ce roman, une histoire vraie, le naufrage, le 4 mars 1970, du Nadia Candela, un chalutier d’un armement lorientais construit 7 ans plus tôt aux Chantiers et ateliers de La Perrière. Le lecteur s’embarque ici dans une aventure sur fond de calculs de stabilité.
Désormais retiré des affaires, Dominique Paulet n’en continue pas moins à œuvrer dans l’univers du navire, au titre d’expert auprès des tribunaux. “En général c’est l’expert lorientais Philippe Clouet qui demande au juge d’instruction de me nommer en appoint d’expertise, sur les questions relevant de l’architecture navale. À moi de donner une raison technique au naufrage, d’expliquer par le calcul comment le navire a pu couler, chavirer ou casser. Mais je n ’ai pas à rechercher les causes en amont de l’événement : erreur humaine, mauvaise organisation de l’armement, ni à considérer les circonstances de sauvetage.”
Ainsi, s’agissant du caboteur Iles du Ponant, Dominique Paulet dit s’être aperçu que les calculs de stabilité, dans la situation de chargement où il se trouvait, “n’avaient jamais été correctement effectués”. Ma perte de stabilité due au grand ballast arrière partiellement rempli m ’est apparue considérable, de nature à ôter au navire la réserve de stabilité nécessaire pour affronter le mauvais temps” indique-t-il
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Le naufrage du cargo Number One au milieu de l’Océan Indien, lui avait posé un autre problème. “L’enquête faisait apparaître une petite voie d’eau de coque, une non-étanchéité des panneaux de cale, une insuffisance des moyens de pompage. J’ai pu calculer pas à pas l’augmentation de tirant d’eau avec légère gîte et l’accroissement de l’envahissement par les panneaux, jusqu’à la situation finale d’immersion inéluctable, sans chavirement.”
Pour le petit chalutier Beau Rivage, dont le naufrage avait été observé par un cargo au large du Croisic, il s’agissait de savoir si ce chalutier avait pu chavirer sous l’effet des conditions de mer du moment. L’épave ayant été relevée, l’état des poids et de la stabilité a pu être reconstitué. “J’ai poussé des calculs selon plusieurs possibilités d événements, précise Dominique Paulet. Aucun ne menait raisonnablement au naufrage sans intervention de navire abordeur.”
L'affaire de l'Erika n’étant pas encore jugée, Dominique Paulet préfère s'en tenir à la réserve, se limitant à préciser la nature de sa mission : "analyser la rupture de coque constatée.” Ce qui l’a amené à étudier les efforts auxquels était soumise la poutre-navire et la réponse que leur apportaient, ou devaient leur apporter, les éléments de charpente et de bordé de la coque. Le calcul des contraintes dans le mutal, compte tenu des épaisseurs, notamment du pont, dans l’état considéré du navire, a conduit à des comparaisons aux contraintes limites de rupture.”