Le système de quilles multiples envisagé en vertu de son principal avantage: la facilité d’échouage. Sans restriction particulière de tirant d’eau, sans abandon de performances. C’est à ce problème que je me suis confronté il y a une vingtaine d’années. Les principaux modèles antérieurs étaient les « Diables » ; Jean Merrien, leur promoteur, avait l’intuition bonne, mais le résultat n’était pas fringant sous voiles. Deux quilles longues, assez longues pour assurer à elles seules la stabilité à l’échouage, induisent une augmentation de traînée irrattrapable, et sont surabondantes en tant qu’élément anti-dérive.
Répartir les appuis au sol sur trois supports mène à la meilleure stabilité statique sans contrainte sur le développement longitudinal de chaque aileron. C’est ainsi que le projet, puis le bateau, prirent le nom de « Trebez » (trépied, en langue bretonne). L’aileron arrière étant prévu juste suffisant pour prendre sa part de charge et supporter le safran, il n’y a pas à y revenir.
Première réflexion : aux allures portantes, qu’il ne faut pas sacrifier, un aileron de quille axial reçoit les filets d’eau, au voisinage de la carène, dans le plan de symétrie général de l’écoulement, incidence nulle. Les filets d’eau à l’emplacement d’un aileron latéral se présentent, en principe, de biais, et cela risque d’entraîner des perturbations augmentant la résistance à l’avancement. J’avais remarqué, lors de simulations en laboratoire sur des carènes possédant des arêtes, que les filets d’eau prenaient facilement un chemin longeant les bouchains vifs. D’où l’idée d’implanter chaque aileron latéral sur un bouchain bien tracé, ramenant l’écoulement dans le plan longitudinal en amont de l’encastrement de l’aileron. De cette manière l’approche du bord d’attaque n’est pas plus perturbée que pour une quille axiale. Ceci a donné lieu à un dépôt de brevet dont je n’ai pas jugé utile de régler les annuités après plusieurs années sans demande.
Deuxième réflexion : il serait fâcheux que la quille latérale au vent perde de l’efficacité anti-dérive à la moindre gîte. D’ailleurs au moment où elle sort de l’eau il se produit des remous néfastes. Un coup d’œil sur une première esquisse géométrique montre qu’il n’y a pas à craindre d’interaction négative entre les quilles, compte tenu de la faible déviation de l’écoulement dans la marche en dérive. Les quilles sont rapprochées le plus possible, sous réserve que le bateau ne bascule pas à l’échouage si trois ou quatre personnes se promènent au bord du pont, ce qui est facilement calculable. D’autre part l’inclinaison des quilles par rapport à la verticale ne serait utile que si l’angle avec le bordé, d’un coté du bouchain, devenait aigu, ou pour donner une impression de solidité d’assise.
Troisième réflexion : à surface égale une aile a d’autant plus de portance (ici, d’effet anti-dérive) qu’elle est allongée, c’est-à-dire étroite dans le sens directionnel. Si l’on tire parti de cette donnée, à résultat anti-dérive équivalent, pour un tirant d’eau fixé, la surface totale des ailerons latéraux d’un biquille est inférieure à celle d’un aileron de monoquille. Moindre surface mouillée pour le biquille, donc.
Vérification : un modèle permettant de disposer alternativement une quille axiale ou deux quilles latérales est fabriqué, essayé en Bassin des Carènes. Il est d’abord constaté que la carène, malgré son bouchain particulier, est intrinsèquement aussi bonne que les meilleures références. La différence entre les configurations, avec ou sans gîte, est très faible, compensée par une recherche plus approfondie sur la surface des ailerons nécessaire.
Validation : le Trebez s’engage dans une course importante autour de Belle-Isle dès son neuvage, et mène du départ à l’arrivée. Puis il fait très bonne figure à l’EDEC. Un jour peut-être les solutions à ailerons multiples deviendront à la mode, non seulement pour leurs aspects pratiques, mais pour l’optimum de vitesse.
Suite : j’ai confié les plans du Trebez à Bruno Devriese pour une construction amateur. Il en a étendu l’usage aux RM. Depuis il m’a été demandé des versions triquille-dériveur, une disposition dont on reparlera sans doute.
Dominique Paulet