Menu de connexion

Belles Marquises d'amour mourir... Hiva OA, Nuku Hiva: Isolement et hospitalité

posté les 26/04/1995 par Bruno vue(s)1265

Hiva Hoa

Hiva Hoa

Attention chikungunya

Attention chikungunya

Retour de cueillette

Retour de cueillette

La goélette des Marquises au quai à Hiva Hoa

La goélette des Marquises au quai à Hiva Hoa

Au fond de la baie de Tahauku

Au fond de la baie de Tahauku

La tombe de Jacques Brel à Atuona

La tombe de Jacques Brel à Atuona

Bronze d’Oviri de la tombe de Paul Gauguin

Bronze d’Oviri de la tombe de Paul Gauguin

Belles Marquises d'amour mourir... Hiva OA, Nuku Hiva: Isolement et hospitalité

#TOUR DU MONDE

posté le 26/04/1995 par Bruno vue(s)1265

Atuona, Hiva Oa, îles Marquises, c'est là où nous avons atterri, après vingt-quatre jours d'une navigation tranquille depuis les Galapagos, dans ce lieu un peu mythique où sont enterrés Gauguin et Brel...

Pourtant, d'après les guides nautiques et le bouche-à-oreille, ce n'est pas, et de loin, le meilleur mouillage des Marquises. La houle de sud-est peut même le rendre assez inconfortable comme nous avons pu le vérifier vers la fin des dix jours que nous y avons passés. Et la baie de Tahauku est visiblement un point de rendez-vous de bateaux américains qui font en un an de congé sabbatique un petit tour en Polynésie, comme les Européens le font dans les Caraïbes.

Pourtant, comment ne pas se laisser prendre au charme de ce premier contact avec les îles du Pacifique ? La petite baie étroite, entourée de collines boisées de cocotiers et de buissons fleuris, se prolonge par une vallée mystérieuse qui s'enfonce vers des sites sacrés, pierres gravées, maraes (plate-formes de pierre destinées aux célébrations et sacrifices), et tikis. Le mouillage est aussi le point de départ de l'entraînement des appelés du SMA (Service Militaire Adapté, pour les insulaires) dont la toute récente caserne domine la baie. Et presque quotidiennement, nous les voyons par six sur leurs longues pirogues à balancier rutilantes partir pour quelques heures en ramant en cadence.

Les voisins de mouillage étaient charmants, organisant à tout moment goûters et BBB (beer-beverage-books, sorte de foire aux livres en français). Le débarcadère était quand même un peu craignos, un petit ponton en béton sous lequel venaient se coincer et se cogner les annexes, et où l'on se faisait abondamment éclabousser à chaque passage. Mais à peine à terre, c'était le bonjour, le sourire, la gentillesse et la décontraction des Marquisiens.

Les voitures s'arrêtent spontanément pour prendre les marcheurs et les déposer au bourg principal de l'île, 3 km plus loin, qui héberge à peine 1500 habitants. Là, des petites maisons cachées par des bananiers, arbres à pain, ou pamplemoussiers croulant sous les fruits sont regroupées autour de la poste et de la poste restante, prétexte de notre escale, de la gendarmerie, de la banque et de quelques boutiques... Des airs d'ukulélé s'échappent par les fenêtres grandes ouvertes. Partout se promènent des hommes, des jeunes femmes, des enfants qui doivent être les réincarnations des modèles de Gauguin, fleur à l'oreille, sourire et bonjour aux lèvres, et démarche nonchalante...

La banque est en réalité une minuscule pièce dans laquelle se succèdent les clients qui font la queue dehors, assis sur un banc sous un préau ombragé. À chaque fois que quelqu'un sort, le suivant entre dans le bureau, et chacun sur le banc se décale d'une place, sans même se lever. Il n'y a bien sûr aucun moyen de faire quoi que ce soit avec une carte bancaire ! C'est pourquoi la caution de sortie (équivalent du prix d'un billet d'avion retour pour son pays d'origine) que tout visiteur doit déposer à son arrivée en Polynésie sera à régler dans une autre île... Mais nous nous interrogeons quand même sur la légalité véritable de cette pratique, le principe de la libre circulation pour tout citoyen français sur le territoire national semble avoir subi ici quelques aménagements...

Et c'est sur le banc de la banque que Bruno a engagé la conversation avec Charlotte, le lendemain de notre arrivée, il nous fallait bien quelques francs Pacifique pour faire quelques courses, toute autre monnaie étant inutilisable dans les îles. Charlotte et Marc, enseignants tous deux au collège Sainte Anne, étaient passés à Atuona en convoyant un bateau. Complètement séduits, ils ont déposé en rentrant en France un dossier pour y avoir un poste, qu'ils ont eu et sont ainsi entrés dans le petit groupe de métros, en général navigateurs qui servent comme profs au collège. Ils nous ont expliqué le langage codé des fleurs, tiaré sur l'oreille gauche, cœur à prendre, tiaré sur l'oreille droite, cœur pris...

Nous avons discuté de l'emprise de la religion, et des religieux encore très tenaces, de la difficulté des programmes scolaires, venus tout droit de métropole, et imposés à ces enfants du soleil dont la grande majorité ne quittera jamais l’île (les problèmes de consanguinité deviennent graves aussi, tous sont plus ou moins cousins au deuxième degré...). L'électricité installée sur l’île depuis cinq ans a amené les frigidaires et congélateurs, et également la télé... Les images que les jeunes regardent fascinés leur donnent des idées un peu curieuses sur la civilisation moderne, mélange de tours de magie, robots et autres machines infernales... Tout est pris au premier degré, le comédien qui meurt tragiquement à la fin d'un film dont il est le héros perd tout crédit s'il réapparaît la semaine suivante dans un autre feuilleton, etc, etc.

Les allocations familiales ne sont versées qu'aux parents des enfants allant effectivement à l'école, parce qu'à partir de quatorze ans, les enfants doivent faire un métier "qui rapporte" et travaillent au coprah. Activité largement subventionnée, la récolte du coprah occupe la majorité des habitants, mais certaines mauvaises langues racontent que les bateaux collecteurs vont en mer rejeter les sacs si soigneusement préparés pour cette industrie qui n'est plus rentable... Le gendarme fait passer le permis de conduire, et pose bien sûr quelques questions de code, mais sur l’île, il n'y a pas un feu rouge, pas un stop, à peine un sens interdit...

Le passage des goélettes inter-îles rythme les semaines. Ce sont en fait des petits cargos qui passent toutes les deux semaines, ou tous les mois, dont l'un a d'ailleurs emmené notre équipier Ludovic vers de nouvelles aventures. Les dockers locaux aux bras et torses artistiquement tatoués s'activent pour charger sacs, caisses de bouteilles vides mais consignées et fûts d'essence, et débarquer autant de caisses et de sacs pleins. Avec nos nouveaux amis, nous avons assisté à la kermesse de l'école, fête familiale et sympathique, et les quelques danses traditionnelles présentées par les élèves nous ont enchantés.

Nous avons aussi fait la visite obligatoire au petit cimetière où reposent Gauguin et Brel non loin l'un de l'autre, c'est un lieu sacré, calme, avec un point de vue indescriptible. Un gros point noir dans ce tableau des îles, c'est le coût de la vie qui est vraiment prohibitif. Les Polynésiens ne paient pas d'impôt sur le revenu, mais tout, à part quelques denrées vraiment de base comme le sucre ou la farine, est taxé, et même super taxé, des matériaux de construction aux produits alimentaires courants. Alors nous sommes revenus à une vie à peu près saine et naturelle, diminuant nos consommations d'alcool et de tabac, puisque nos stocks étaient bien bas, et nous avons vécu de produits locaux et de cueillettes. Il suffit d'aller se promener un peu dans les vallées pour trouver des champs de papayers sauvages, bananiers ou citronniers, offrant leurs fruits à qui se donne la peine de les cueillir.

Pour la pêche par contre, il faut faire attention car la ciguatera sévit beaucoup. C'est une maladie du corail qui rend toxiques les poissons qui le mangent, les toxines se concentrent dans les gros poissons qui mangent les moyens qui ont mangé les petits qui ont goûté au corail. Et en finale, l'homme qui mange les poissons peut se trouver empoisonné plus ou moins gravement, ça gratte partout, on se sent faible, et il n'y a pas vraiment de médicaments... Le sujet a donné lieu à une discussion assez surréaliste à la BLU le jour où Bruno avait été poser le filet à la sortie de la baie, et annonçait triomphalement une pêche miraculeuse de deux petits poissons aux copains à l'écoute. Mais nous avons rejeté les poissons à l'eau !

Nous n'avons pas d'armes à bord, et donc n'avons pas essayé la chasse qui est l'un des moyens de subsistance des insulaires. Cependant, si l'un de nos lecteurs a l'envie de suivre nos traces et de flâner aux Marquises, nous pouvons lui conseiller de partir avec un stock de cartouches de fusil, c'est une denrée qui s'échange apparemment très bien, et que nous aurions pu troquer contre pas mal de verroteries locales...

Le temps a passé vite à Atuona, nous étions tellement contents d'y être arrivés, et il y avait tellement à découvrir ! Et il y avait aussi Ilboued dont il fallait s'occuper, les moteurs (le principal et celui de l'annexe) qui nous ont donné quelques soucis (un joint de carton soigneusement découpé et enduit de graisse nous a dépanné pour l'annexe), la coque qu'il fallait nettoyer d'un peu de mousse à la flottaison après cette longue traversée, la lessive du bord à frottter au point d'eau du ponton, en faisant connaissance avec les nonos (affreux petits moustiques) locaux, quelques rangements, et bien d'autres points sur la sempiternelle liste des choses à faire à l'escale...

Nous avons pu aussi renouer un peu avec les préoccupations du moment, suivre en direct le débat entre Chirac-tané et Jospin-tané à la radio, et découvrir dans les journaux locaux le sentiment de frustration des Polynésiens qui sont appelés à voter alors que les résultats de métropole sont déjà plus ou moins connus ! À Nuku Hiva, nous avons séjourné également une bonne semaine. Nous avons fait connaissance avec un bon nombre des mystérieux intervenants des vacations BLU. Au mouillage, les potins allaient bon train, mais aussi les visites de bateau à bateau, les invitations à manger... une communauté très familiale et un peu baba s'était recréée.

C'est là que nous avons rencontré des pays, Jean-Luc et Dominique sur Imagine, partis de Groix un an avant nous, qui sont venus spontanément partager la carangue qu'ils venaient de pêcher pour lier connaissance. Nous avons aussi été invités par Daniel et Antoinette, un couple de Marquisiens très accueillants, dont le foyer isolé dans la baie d'Hakatea a vu passer nombre de navigateurs ! Ils se souviennent du passage d'Alain Gerbault dans l'île, ils nous ont raconté les légendes d'il y a longtemps et les problèmes d'aujourd'hui... Et très rapidement, nous avons appris l'usage du mot "fiu" tellement courant en Polynésie. C'est fiu, c'est fatigant, ça m'ennuie, je me sens bien comme ça, je le ferai plus tard... Mais avec un peu d'énergie, nous avons chassé le fiu, et nous sommes repartis vers d'autres îles, d'autres paysages, d'autres rencontres, d'autres copains.