14 mars, 7 heures du matin, Marina de Cristobal, Panama
Cette nuit, une fois de plus, les moustiques ne m'ont pas épargné. Hier soir, pourtant, j'ai pris toutes les précautions : la couchette ceinturée d'une moustiquaire, l'atmosphère de la cabine saturée de Baygon (insecticide pour tuer les moustiques), tellement saturée d'ailleurs que lorsque je m'allonge, je frise l'asphyxie. À portée de main, l'anti-moustique de dernière chance, le serpentin chinois qui se consume lentement en dégageant une forte odeur d'amadou.
Toutes ces armes sont d'une efficacité temporaire. Elles ne résistent pas aux premiers rayons du soleil. L'horrible insecte, excité par l'apparition du soleil, livre son combat et intimide son adversaire en agitant ses ailes 1000 fois par seconde (d'où le Bzzzzzzzz exaspérant). Et ça ne rate pas : ce matin, comme tous les autres depuis que nous sommes amarrés au Yate Clube de Cristobal, je consacre les premières minutes de ma journée à comptabiliser les tirs au but de ces maudits animaux.
En forme d'introduction, cette petite mésaventure pour vous rappeler que nous ne sommes pas perpétuellement bercés sur un nuage moelleux, que les heures d'extase ne sont pas permanentes et que cela fait déjà 5 jours que nous patientons pour franchir le Canal de Panama.
Pour la première fois depuis le début de la traversée, les nouvelles du pays ne parviennent plus jusqu'à nous. La réception de Radio France International est très mauvaise et la presse étrangère est presque inexistante ici. Lors de notre séjour prolongé en Guadeloupe, nous nous sommes sursaturés d'information. France Inter, que nous recevions en modulation de fréquence, diffusait dans le bateau de manière permanente. Je suivais avec angoisse la mise en place des joueurs pour la grande parade du mois d'avril : le combat des grands chefs, les tergiversations des ténors des partis, les coups d'épée dans l'eau et les coups de poignard dans le dos, la langue de bois et la démagogie. Tout cela sur un ton de vérité et de conviction me faisait penser que cette engeance énarquienne s'adressait à un électorat d'une autre dimension.
Je ne m'étendrai pas sur la question, mais je suis en manque. Le grand jeu se poursuit sans que je puisse participer au grand spectacle. Vous compterez les points pour moi. Et je ne vous envie pas lorsque vous serez seul dans l'isoloir, hésitant entre le petit papier rose, le petit papier vert, rouge, blanc ou noir.
Juste une petite suggestion pour terminer : si vous trouvez que la vie politique française est déprimante et sclérosée, que la démocratie sociale est à bout de souffle, que les impôts sont trop lourds et que la sécu ne rembourse pas grand-chose, que les pouvoirs publics et les fonctionnaires ne font vraiment pas leur boulot, venez donc faire un petit séjour à Cristobal Colon, deuxième ville de l'état de Panama. Lorsque vous rentrerez dans votre doux pays, vous redécouvrirez les bienfaits de la démocratie sociale à la française.
Bon, je vous laisse, j'ai encore de la route à faire.