En tant que skippeuse, copropriétaire et élément féminin de l’équipage, c’est curieusement et tacitement à moi que revient le plus souvent la lourde charge de l’intendance à bord. Ne voyez surtout pas là une quelconque remarque féministe ou protestation de principe, j’adore faire la cuisine, et j’ai le rare privilège d’être épargnée par le mal de mer (cadeau de naissance d’une bonne fée, ou hérédité familiale, puisqu’il paraît que nous descendons de Jean Bart en ligne directe ?).
Et en général, à part un petit nombre d’équipiers, qui ont eu tendance à se croire en charter organisé lorsqu’ils étaient à bord, ou certains autres qui avaient visiblement envie de profiter du week-end pour se faire materner, à bord, généralement tout le monde met la main à la pâte et les choses se passent très bien. Mais quand même, quelle responsabilité ! La honte quand j’oublie de racheter de l’huile ou de la farine, ou pire encore, mais là je veille spécialement à être à la hauteur, quand le stock de vin ou de bière arrive à rupture en cours de croisière. On ne me dit rien, mais je sens bien un reproche non formulé passer au-dessus de ma tête.
Et il faut dire que ce n’est pas évident à gérer un stock de nourriture (solide et liquide), sachant qu’on est en mer, et donc que les denrées périssables vont s’abîmer très vite, et que j’ai horreur de jeter de la nourriture, et que par contre, on ne sait jamais combien on sera à bord, qui va-t-on rencontrer et qui va s’inviter le soir pour partager notre repas aux chandelles... Mais dans l’ensemble, ça se passe bien, c’est souvent gastronomique, et on fait même bombance ; depuis le réveillon dans les règles de l’art aux Glénans, en passant par les petites gâteries amenées par certains équipiers, genre foie gras et Montbazillac, les dégustations improvisées d’araignées, huîtres et autres fruits de mer quand l’occasion se présente, et parfois quand on la provoque (quitte à partir en stop pour s’approvisionner), jusqu’aux repas exotiques thaïlandais ou canadiens, préparés par les équipiers spécialisés, on ne peut pas dire que l’on se laisse abattre...
Quelquefois aussi, c’est un peu la dèche, mais on trouve toujours une petite sauce à faire pour accompagner le riz ou une boîte de cassoulet à ouvrir, et c’est là que tout le monde se régale, et se répand en compliments pour le cuisinier ou la cuisinière... Pour le moral des troupes, c’est tellement important de bien manger et de bien vivre, surtout quand les conditions extérieures deviennent difficiles, et Ilboued est un bateau où même par force six on continue à vivre tout à fait normalement dans le carré (quelquefois dangereusement car on ne se rend pas toujours compte du changement de météo avant d’avoir mis le nez dehors)...
Nous n’avons pas de four, mais est-ce vraiment nécessaire ? On peut réussir pain, tartes et gâteaux pour les gourmands dans une poêle ou une cocotte minute ; nous n’avons pas de frigo, ça a été un point à l’ordre du jour pendant longtemps, c’est vrai qu’une petite mousse bien fraîche ou un glaçon dans le whisky sont des luxes appréciables, mais on arrive à s’en passer sans trop de problèmes... Anne-Marie trouvait l’autre jour notre équipement en vaisselle un peu rudimentaire. Il faut dire que le week-end précédent, un malencontreux empanage avait renversé la table et balancé à l’eau quelques couteaux, assiettes et saladier (plein bien entendu !). Alors, il vaut peut-être mieux ne pas avoir à bord de matériel trop sophistiqué...
Et puis quand il y a une fête à bord, et il y en a régulièrement, car Ilboued attire également ses congénères, en plus des curieux et des douaniers, et tel un grand frère, on le voit souvent au mouillage entouré de un ou deux plus petits bateaux à couple, bateaux copains, bateaux famille, c’est sur le pont d’Ilboued que tout le monde se retrouve pour la soirée ; on utilise alors les moyens du bord (!), et tout se passe bien. De plus, régulièrement, nous améliorons nos installations. Cécile nous a fait cadeau d’un doseur de bistrot, maintenant à poste près de la descente, et ma foi bien apprécié des amateurs de pastis. Nous avons testé les flûtes à champagne, en plastique, elles sont tout aussi fragiles et instables que leurs homologues en cristal, la flûte étant quand même nettement plus conseillée que la coupe en bateau, surtout en cas de gite, on en renverse moins...
Nous réfléchissons aussi à un présentoir style bistrot pour ranger diverses choppes et verres à bière, sans avoir complètement pour l’instant finalisé nos plans. Dernière chose sur ce sujet, combien important, nous avons commencé une dégustation de vins conditionnés en bricks, faciles à entreposer, pratiques, en prévision d’un plus grand voyage... Notre problème est simplement d’arriver à les garder suffisamment longtemps pour faire quelques tests de vieillissement... Si vous avez des tuyaux !