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Finalement, c'était un peu la routine...AA

posté les 05/01/1995 par Bruno vue(s)91

Chaleur sur le pont

Chaleur sur le pont

Finalement, c'était un peu la routine...

TOUR DU MONDE

posté le 05/01/1995 par Bruno vue(s)91

Ilboued, Bruno et Brigitte sont arrivés de l'autre côté de l'Atlantique.... L'Invitation au Voyage était là pour recueillir les premières impressions des navigateurs après cette traversée transocéanique, et Brigitte s'est dévouée pour répondre aux questions: L'Invitation au Voyage: une première question pas très originale, mais que chacun a envie de poser: comment cela s'est-il passé? Cela s'est très très bien passé, mais ce fut quand même assez dur dans l'ensemble... un soleil de plomb (le pont d'Ilboued était brûlant dans la journée), pas mal de roulis qui secouait le bateau, faisait claquer les voiles, et était légèrement agaçant, des nuits en tee-shirt au clair de lune passées à lire et à regarder les étoiles... nous avons dû changer complétement notre rythme de vie et apprendre la sérénité ! vous avez donc rencontré des conditions météorologiques plutôt clémentes? Plutôt clémentes en effet, et même trop pendant quelques jours! D'après les "Pilot Charts" (statistiques sur les conditions de navigation mises à jour régulièrement), il y a 1% de chance de rencontrer des calmes dans la zone où nous étions pendant la période où nous naviguions. Eh bien nous avons eu cette chance! Nous avons d'ailleurs commencé à faire circuler une pétition parmi les navigateurs usagers des alizés de cette année.... Mais ces fameux alizés étaient quand même au rendez-vous, même paisibles, et nous avons eu notre lot de couchers et de levers de soleil somptueux, toujours un peu de courants d'air pour rendre la chaleur supportable et une température de l'eau tout à fait délicieuse... En fait nous sommes partis des îles du Cap Vert avec bon vent et sous un ciel assez couvert, puis le soleil est arrivé et le vent s'est légèrement absenté, mais il est revenu bien régulier pour le dernier tiers du voyage, et nous a de nouveau abandonné tout à fait à la fin, alors que nous salivions déjà à l'idée de l'arrivée.... Et comment se passait la vie à bord? Finalement, c'était un peu la routine... je faisais le premier quart de nuit, de 21h à 3h. Pendant ces 6heures de veille, je n'avais pas le temps de mener à bout tout ce qui était commencé, lectures, lecons d'espagnol et balbutiements de vietnamien, couture (pour ne pas trop fumer en lisant et m'occuper les doigts, j'ai brodé une nappe spéciale fêtes pour Ilboued), quelques jeux sur l'ordinateur quand les batteries étaient bien pleines, un dossier bibliographique sur les conditions de navigation rencontrées par nos prédecesseurs illustres sur les routes que nous allons suivre, quelques étoiles à saluer... Tous les matins à 3heures, Bruno me trouvait bien cruelle de le sortir de ses rêves, mais prenait courageusement le relais. Il travaillait également beaucoup pendant ses quarts, leçons de thaïlandais, traductions d'instructions nautiques, réalisation d'un dossier pour de futurs projets... Dans la matinée, toilette-trempette, météo RFI, petit rangement du désordre de la nuit, les bols de soupe, les cassettes, le tabac, les dictionnaires (les couchettes du carré d'Ilboued se sont transformées petit à petit en un véritable capharnaüm ...) gymnastique, guitare, le temps passait trop vite. Puis il y avait un moment de détente et le déjeuner... Pendant la sieste de Bruno, je dessinais un peu, et vaquais à mes devoirs d'intendance, patisserie, tri des légumes, lessives.... Ensuite c'était à mon tour de faire la sieste pendant que Bruno se remettait à ses dossiers ou bricolait un peu. Et vers 19heures, la journée se terminait, apéro, diner, petite partie de monopoly, scrabble, trivial pursuit ou de rien du tout (et Bruno gagnait quasiment toujours...), et retour au début du paragraphe... Un vrai petit train-train quotidien. Mais les manoeuvres, la navigation? A vrai dire, nous n'avons pas eu beaucoup à faire de ce côté là... Nous avons traversé sous vent arrière d'un bout à l'autre du voyage, la misaine et le génois tangonné en ciseaux. Ilboued ressemblait à un gros papillon, un peu ballotté par les vagues... Nous avons juste empanné quelques fois (changé les voiles de côté) et pris un ris dans la misaine pendant une journée... Quand à la navigation, le GPS était là, et nous n'avions qu'à reporter régulièrement notre position sur la carte! Pour nos lecteurs marins qui seraient un peu frustrés par ce manque de détails techniques, je peux ajouter qu'il nous a quand même fallu un peu de temps pour trouver le bon réglage des voiles et dissiper ainsi le léger agacement du capitaine face au petit temps.... Nous avons utilisé la bôme d'artimon comme tangon de misaine, et ressorti des soutes l'ancien génois mieux adapté à la taille du tangon (amputé de sa rallonge depuis la traversée du golfe de Gascogne). Mais après ces petits tatonnements, ce fut parfait! C'était donc bien tranquille! Vous ne vous êtes pas ennuyés? Chaque journée était différente... Nous profitions de tous les prétextes possibles pour célébrer quelquechose, la mi-route, les 3/5, 2/3, 3/4 de route, le 11 Novembre, le beaujolais nouveau, les anniversaires de nos frères, soeurs et amis...Il y a eu quand même quelques occasions de déboucher une bonne bouteille (nous avons d'ailleurs constaté que le vin de Bordeaux supporte le voyage de manière remarquable, contrairement aux Bourgognes ou vins de Loire qui semblent souffrir un peu d'être secoués). Et puis pendant une traversée, des petites choses arrivent constamment: quelques coups de klaxon intempestifs dans la nuit (voir la sécurité à bord)... le premier poisson volant qui a atterri sur le pont un peu après le départ est tombé par un hublot directement sur l'oreiller de Bruno qui faisait la sieste (et n'a jamais voulu croire que je ne lui faisais pas une blague). Nous avons aussi pêché deux pétrels imprudents qui voulaient avaler nos hameçons, et malheureusement se sont retrouvés noyés traînés par le bateau. Nous avons croisé un voilier suédois, au beau milieu de l'Atlantique, avons pu discuter un petit quart d'heure à la VHF, et nous donner rendez-vous de l'autre côté. Une corneille s'est réfugiée sur le pont pendant une nuit, jouant les fantômes quand nous mettions le nez dehors.... Il y avait les poissons produits de notre pêche à préparer, les décalages horaires que nous nous fixions de temps en temps, etc... Et côté santé, y a-t-il eu des problèmes, les fameuses crises d'appendicite ou rages de dent? Là encore tout s'est bien passé. Et pourtant, il y a quand même eu quelques petits incidents. A la suite de l'une de ses baignades, Bruno est ressorti ayant été piqué par une physalie (d'après les livres, "méduse au flotteur rose ou bleu d'où s'échappent de longs filaments. Leur contact provoque une vive douleur, suivie de l'apparition d'une éruption, puis parfois de douleurs articulaires. Il y a très rarement malaise général"). Il a tout eu, sauf le malaise général, et nous avions dans la pharmacie la pommade miracle pour enrayer le mal... Nous avons aussi été victimes d'intoxications alimentaires, assez curieuses, deux fois à la suite de festins de poisson cru. Après une enquête approfondie, nous avons donc conclu à la toxicité des dorades que nous venions de manger, mais nous n'avons rien pu trouver dans les livres relatant ce genre d'incident. Heureusement, à chaque fois nos organismes ont réagi et rejetté les aliments indigestes. Toutefois si parmi nos lecteurs il y a un spécialiste de la dorade coryphène, cela nous intéresserait d'avoir quelques tuyaux! D'autant plus que Bruno commence à devenir soupconneux et vérifie maintenant que je mange bien la même chose que lui avant que de commencer son assiette... Avez vu des baleines, des cachalots, des requins ou des monstres marins? Non, rien du tout, ce fut vraiment une traversée dans l'anonymat, personne ne s'est déplacé pour venir nous voir,.. à part bien sûr tous les petits exocets (poissons volants) qui décollaient dans l'étrave du bateau à tout bout de champ, et atterrissaient de temps en temps sur le pont d'Ilboued, une bande de dauphins copains entre les Canaries et les îles du Cap Vert, quelques oiseaux intrigués par nos lignes, surtout des petites hirondelles de mer, et les poissons que nous avons dégusté, dorades, barracuda, et wahoo. Côté intendance et pratique, cela s'est-il bien passé? Dans l'ensemble, nous avons je pense bien mangé, mais il faudrait plutôt poser la question à Bruno. Il y a eu des crudités tous les jours et j'ai même fait germer des pousses de soja pour enrayer le scorbut de dernière minute. Ce n'était pas très évident de prévoir nos consommations en tout pour une bonne trentaine de jours, dans ces conditions un peu particulières. L'escale du Cap Vert fut tout sauf alimentaire, car malgré un timide effort de développement, on ne trouve pas encore grand chose dans les petits supermarchés, et surtout pas de légumes frais! Il y a eu peut-être quelques faiblesses dans l'approvisionnement sur le lait, les corn-flakes et le café, mais rien de très grave heureusement... et Bruno ne s'est pas montré difficile! Et comment s'est passée l'arrivée? A part les chiffres inscrits sur l'écran du GPS qui nous disent que la terre est proche, on ne réalise pas vraiment que l'on va arriver un jour quelquepart, à force de ne voir que le ciel et la mer et la mer et le ciel. Et puis un jour, en écoutant la radio, on commence à capter des émissions en créole, on réalise que dans deux jours, demain, on va arriver... On se met à rêver d'une douche à l'eau douce, s'asseoir à une terrasse et regarder passer des gens, voir du monde, manger un steack et du fromage, arrêter d'être secoué à longueur de journée... Et un beau jour (le 24 Novembre), nous avons vraiment vu la terre et débouché le champagne! Nous avons mouillé devant l'île Marie-Galante, car c'était le soir, et nous préférions ne pas faire d'arrivée de nuit. Et le lendemain, nous nous sommes amarrés à un ponton dans la marina de Pointe-à-Pitre. Après une bonne douche, nos premières courses furent une baguette croustillante, un morceau de roquefort et une bouteille de Beaujolais nouveau... Ici, il y a des palmiers partout, et une végétation extraordinaire, on entend des petites grenouilles qui sifflent à longueur de journée et des grillons... Il y a bien aussi quelques moustiques, des grains passagers (nous n'avions pas eu de pluie depuis des semaines), et le bateau à ranger et nettoyer de fond en comble, mais depuis l'arrivée, nous savourons chaque instant, les avocats, les ananas, les p'tits punchs et l'ambiance locale. En plus, nous sommes arrivés par hasard en même temps que quelques concurrents de la route du rhum, et c'est la fête en Guadeloupe! En conclusion, quelles impressions pour vos lecteurs et amis ? Nous arrivons bronzés, blondis, assez en forme, et peut-être un peu moins niais sur certains sujets ayant fait l'objet de nos lectures de quarts de nuit, pleins de projets et déjà prêts à repartir pour d'autres plus longues traversées... car celle-ci n'était qu'une pâle répétition de ce qui nous attend dans le Pacifique! Mishima, le pilote, a barré comme un chef, Carmen, l'alternateur d'arbre d'hélice, a assuré du début à la fin, et Ilboued s'est vraiment révélé être un bateau de rêve pour les grandes navigations.... Bien sûr il nous a fallu un petit temps d'adaptation à cette vie entre parenthèses entre ciel et mer, une période de mise en train pour nous habituer au roulis et prendre le rythme, mais maintenant il nous faut à nouveau une transition pour redevenir momentanément terriens!