';
Menu de connexion

Tabarly et LorientAA

posté les 01/02/2007 par Bruno vue(s)1001

Deuxième unité de la série Farewell

Deuxième unité de la série Farewell

Le Talofa

Le Talofa

Plan de voilure du Pen Duick III

Plan de voilure du Pen Duick III

Guerveur et Pen Duick III au port de Palais, Belle-Isle

Guerveur et Pen Duick III au port de Palais, Belle-Isle

Le Talofa

Le Talofa

Tabarly et Lorient

CONSTRUCTION & ORIGINES

posté le 01/02/2007 par Bruno vue(s)1001

La Cité de la Voile Éric Tabarly a ouvert ses portes cette année 2008. Dédiée à la course au large, elle est située à 400 mètres du lieu de construction de trois des six fameux Pen Duick promus par le marin d’exception qui donne son nom à la Cité.
L’élaboration de ces trois voiliers innovants chacun en son genre est une tranche d’histoire du nautisme qui vaut d’être résumée dans les pages d’un bulletin se voulant recueil de mémoire.

Rappelons le contexte général. Cela commence avec le Pen Duick I , un ancien yacht britannique, qu’Éric Tabarly ne quittera jamais. Régatier de tempérament, il s’intéresse, et pour longtemps (bien que participant à de nombreuses autres compétitions au long de sa carrière de skipper), à la course en solitaire Plymouth - Newport, la ‘‘Transat’’, qui a lieu tous les quatre ans. Il fait construire chez Costantini à La Trinité sur Mer un voilier en contreplaqué, le Pen Duick II de 13,60 mètres de longueur. Avec ce bateau plus long et plus léger que ceux de ses concurrents, il est gagnant en 1964. Cette victoire sur les Anglais a un grand retentissement ; la course au large, en France, sort du néant : Tabarly devient célèbre pour toujours.
Des Pen Duick III, IV et V, les seuls réalisés l’un après l’autre dans un même chantier, nous parlerons plus loin.
Ensuite sera conçu le Pen Duick VI, un excellent voilier monocoque de 22,25 mètres de longueur sur plans Mauric. Éric le mènera à la victoire dans la Transat de 1976, tandis que le trimaran Pen Duick IV aura gagné celle de 1972, barré par Alain Colas.
Éric Tabarly s’intéresse alors à la sustentation par ailerons immergés ayant pour but d’affranchir les coques du contact de l’eau, dont l’application mènera à l’actuel hydroptère. Une utilisation partielle de ce principe conduit à l’élaboration du trimaran Paul Ricard, lequel est ensuite modifié, devenant Côte d’Or II, aujourd’hui au sec sur un quai d’Hennebont. Éric Tabarly participe encore à de nombreuses navigations et disparaît en mer sur le Pen Duick I le 12 juin 1998.


Lorient technopôle
De fondation, Lorient est un chantier naval. L’industrie navale ne cesse d’être le principal ressort économique de la ville. Vers le milieu des années soixante l’Arsenal réalise depuis peu de grosses frégates, certaines armées de missiles. Le port de pêche monte en puissance, est proche de son apogée tant que les bancs de lieus noirs ne sont pas épuisés. Les chalutiers sont de plus en plus grands, pour aller plus loin mais aussi parce que chaque armateur flatte ainsi les meilleurs patrons de pêche afin de les conserver ou de les attirer.
Le foisonnement maritime est propice à l’expansion des entreprises, nous verrons plus loin où cela mène. Bien que l’Arsenal soit un domaine clos, la culture technologique est répandue : il est plus facile de trouver ici un bon chaudronnier-fer ou un soudeur très qualifié que dans beaucoup de ports.
Déjà la finition du Pen Duick II a été effectuée à l’Arsenal de Lorient en avril 1964 : aménagements, coulage et mise en place de la quille, mâtage, etc.
Éric Tabarly est apprécié du tout-Lorient dès sa victoire de 1964. C’est un gars de la Royale, un officier à casquette comme ceux que l’on voit parcourir les rues au milieu des pompons rouges. C’est un marin qui a osé en faire un peu plus : partir tout seul, abandonner le confort de la routine militaire. Il a eu l’imagination de choisir un bateau gagnant, il a battu les Anglais. On connaît sa timidité, mais il accepte de participer à des débats publics. Le Pen Duick II trônera en pleine ville au milieu du bassin à flot alors inutilisé.

A La Perrière, l’innovation
Doit-on dire « Chantiers et Ateliers de La Perrière », voire C.A.P. ? L’appellation évolue, tenons pour « chantier de La Perrière ». A l’origine il s’agit cependant d’un atelier de réparations mécaniques ; s’y ajoute la remise en état des coques puis, dans l’élan local et pourquoi pas, la construction navale au plein sens du terme. Le premier navire est fabriqué en 1956 dans un ancien abri de sous-marin, la ‘‘cathédrale’’, où seront construites les unités suivantes sans interruption pendant une quarantaine d’années.
La stratégie commerciale du chantier de La Perrière est orientée tous azimuts. On sait faire des bateaux, en principe à coque acier ; pas de spécialisation, les commandes seront prises d’où qu’elles viennent ; au bureau d’études de se débrouiller pour sortir les plans, même de prototypes sans modèle de référence. C’est un risque : les deux chalutiers à pêche arrière de 1962-63, premiers du genre, n’auront pas un succès considérable. Cependant le responsable des constructions Jacques Le Cabellec parvient à mener à bien toute sortes de navires. A moi d’organiser l’équipe des techniciens dessinateurs pour que leurs compétences personnelles en tracé de carènes, en réglage de structures ou en assemblage d’auxiliaires mécaniques s’adaptent à tous les types de bâtiments. Petit à petit se forgera un outil d’une efficacité redoutable qui créera notamment trois bateaux innovants dont il convient de dire quelques mots : Cézembre, Guerveur, Farewell.
Trois navires de pêche sont mis à flot entre octobre 1964 et janvier 1965 ; des chalutiers ‘‘classiques’’ d’une trentaine de mètres, presque identiques : de quoi donner un peu de souplesse au planning du bureau d’études, donc l’opportunité de s’appesantir sur un projet sans précédent dont la commande est presque mûre. Carte blanche pour ce prototype, à condition qu’il mette en œuvre de manière parfaitement opérationnelle le système de chalutage par l’arrière, ce qui est très attendu. Les méthodes de manipulation du matériel de pêche sont mises à plat, la recherche de treuils hydrauliques synchronisés lancée, la disposition des locaux de travail analysée et toute l’expérience acquise dans nos sorties et marées en mer exploitée. De ces efforts de conception naît le Cézembre, occasion d’une rupture des standards de la flotte de pêche. Il n’y a pas eu depuis de mutation dans la typologie des chalutiers.
En 1965 encore, le cahier des charges du prochain transbordeur de Belle-Isle tombe sur nos tables. L’armateur public désire, non plus une imitation des anciens vapeurs, mais un véritable car ferry transportant en entrepont 25 à 30 voitures embarquées et débarquées par roulage. La longueur est limitée à 45 mètres ; il était naturel de s’inspirer des ferries transmanche, à vrai dire deux à trois fois plus longs. Installer sur un si petit navire les rampes d’embarquement, la plaque tournante de circulation, des stabilisateurs anti-roulis, retrouver au dessus du garage des espaces pour les 500 passagers et respecter les règles de stabilité, tout cela relevait de la gageure. La pari a été gagné, le Guerveur a fait preuve d’une longévité exceptionnelle et les bateaux des îles construits ensuite en dérivent.
Le marché de la plaisance commençait à prendre de l’ampleur, ce qui donna des idées à Jean Toullec, notre PDG : pourquoi ne demanderait-il pas à son chantier de lui réaliser un bateau de croisière rapide en métal, pour sa satisfaction personnelle et en amorce de possible diversification industrielle ? Les courses organisées sur la base de la jauge du RORC donneraient l’occasion de mesurer nos capacités. L’outil La Perrière se déclencha, sans crainte d’avoir à mettre en forme l’alliage d’aluminium, matériau connu à Lorient par ses utilisations militaires en tôles plates. Des ébauches de carènes furent confrontées au bassin d’essais de Nantes, lequel avait déjà fourni ses services à l’occasion des Cézembre, Guerveur et autres. Comme client, notre Président n’était pas facile à satisfaire et poussait à des études pointues auxquelles collaborait John Illingworth pour le gréement. En résultat, le prototype Farewell montre ses qualités, gagne de nombreuses courses, comme celle de Belle-Isle à Concarneau contre des Golifs au palmarès de champions.

Logique d’un projet
Au printemps de 1966, Éric Tabarly, croisant sur la baie de Quiberon, ce lac à régates, est bien informé des succès du Farewell. La saison précédente du Pen Duick II n’a pas été éblouissante. Éric a mijoté les grandes lignes du voilier qui lui semble idéal pour la prochaine Transat en solitaire et cependant bien adapté aux courses du RORC à effectuer en attendant. Il consulte le chantier de La Perrière.
Le choix primordial, celui de la longueur, s’est inspiré de la relation fondamentale entre la longueur de flottaison et la vitesse. Dimension limitée toutefois par la possibilité, pour un seul homme, de conduire le navire ; le Pen Duick II avait paru au début, à ce propos, d’une taille excessive. Pourtant un allongement de 30% (avec comme conséquence un doublement du déplacement) convenait au promoteur, selon le fruit de son expérience. L’option du gréement de goélette allait d’ailleurs dans le sens de la facilité de manœuvre. Cette option – goélette à deux mats égaux – était favorable dans le calcul de la jauge du RORC, et Tabarly connaissait les potentialités d’établissement de voilures variées, adaptées à l’allure et à la force du vent, entre les deux mâts.
Le choix du matériau n’est pas moins rationnel. Le composite verre-polyester n’avait fait ses preuves que pour des bateaux de petite taille. Le bois contreplaqué avait montré ses limites de solidité dans la cohésion de la coque du Pen Duick II et ne convenait pas mieux. Dans le métal, l’acier se présentait comme très solide et bon marché, mais lourd ; à regarder comme référence. L’alliage léger AG 4 (aluminium plus quatre pour cent de magnésium) est trois fois moins dense. Il est moins solide mais finalement, à épaisseur offrant la même résistance à la flexion, deux fois plus léger que l’acier. Cet alliage est parfaitement soudable, ce qui ne fixe aucune limite à la dimension de coque réalisable. Éric Tabarly a vite apprécié la possibilité de donner, à chaque piton d’attache de gréement sur le pont, une résistance à la charge de l’ordre du poids du bateau. Les charpentiers qui assemblent les éléments de coque en cet alliage d’aluminium inoxydable et brillant ont l’impression de monter une pièce d’orfèvrerie.
Éric Tabarly déplie devant moi les plans qu’il a établis : une image d’ensemble assez précise, un croquis de la voilure, une épure d’avant-projet des formes de carène qui ne laisse aucune ambiguïté sur l’allure de celles–ci. Ce n’est pas un dossier de projet paré pour l’exécution, mais le définition du Pen Duick III est suffisamment avancée pour que l’on puisse dire qu’Éric Tabarly est architecte de ce voilier.

Maturation du Pen Duick III
La construction de la goélette ne posant pas de problème de faisabilité, un devis est établi ; le prix dépasse naturellement les moyens financiers de Tabarly. Le chantier de La Perrière a pourtant bien envie de lancer cette fabrication au potentiel médiatique évident. « L’Aluminium Français », centralisateur de la production d’alliages légers, propose de fournir gracieusement les produits métalliques nécessaires. Le promoteur dispose de la valeur du Pen Duick II en cours de vente à l’École Nationale de la Voile. Le chantier se décide alors à participer aux dépenses, à hauteur du coût de la main d’œuvre de fabrication de la coque. Jules Glain, gestionnaire de l’entreprise, parvient ainsi à boucler le contrat du premier Pen Duick construit à La Perrière. L’effort financier du constructeur ne se reproduira pas sur les unités suivantes, Éric Tabarly étant considéré généralement comme un client normal.
Le bureau d’études se met alors au travail, en commençant par la compilation des poids et donc par la schématisation de la structure et les calculs d’échantillonnage. Le déplacement complet du navire étant chiffré, donc le volume de carène, les formes sont retracées pour qu’elles y correspondent. Puis la charpente est dessinée avec soin. Un détail pour l’exemple : l’étrave à guibre, avantageuse dans les calculs de jauge, est si mince sous le piton d’étai qu’il semble impossible à Alain Le Meurlay de la rendre assez solide ; je reprends avec lui les formulations de flexion de cette poutre localisée et nous convenons d’ajouter un petit caisson au dessus du pont. A l’usage, l’étrave présentera une légère flexibilité lors de la mise en tension de l’ensemble étai-maroquin-pataras, ce qui sera sans inconvénient, voire plutôt avantageux pour l’harmonisation des charges.
Le plan de pont est discuté avec Éric lorsqu’il passe à Lorient entre deux courses. Victor Tonnerre, en charge de la voilure et du gréement, participe à sa mise au point. Cette collaboration entre concepteur d’ensemble, spécialiste et utilisateur final garantit le bon emplacement de chaque winche, de chaque poulie et de toutes ces choses…

L’aileron de quille nous donne du fil à retordre. Il était entendu qu’il serait renflé en partie basse, le meilleur emplacement du lest, et assez épais à mi-hauteur afin d’y installer un moteur de récupération : une motorisation, non obligatoire à l’époque, ajoutait un coefficient favorable au rating, mais le règlement de jauge ne disait pas que le moteur soit en état de fonctionner ! J’avais donc dessiné un aileron emballant tout cela, raccordé en arrondi au fond de coque. Les essais sont conduits au bassin de Nantes, annonçant des performances inférieures à nos attentes, en particulier en comparaison du Pen Duick II. Le lundi suivant les essais, le professeur Émile Ravilly, directeur du bassin des carènes, éminent hydrodynamicien, me contacte téléphoniquement : il est passé samedi devant un magasin de jouets, a remarqué une maquette de voilier au plan de quille des plus simples, une planchette verticale portant un lest de plomb en forme de torpille ; il s’est précipité à son atelier, a fabriqué dimanche un aileron sur ce modèle et procédé à de nouveaux essais dans le canal de remorquage. La réduction de traînée est conséquente, d’environ 15%, mais on devrait, dit-il, apporter encore une amélioration en perfectionnant cet assemblage d’article de bazar. Nous avons essayé ensuite quatre ou cinq modèles d’aileron, notamment en rendant plate la semelle afin de faciliter les échouages. Aucun n’a été plus efficace que la disposition plan mince-bulbe torpille, sans continuité adoucie avec la carène. Éric a adopté le bulbe arrondi en dessous, pour un gain d’à peu près 1%, jugeant qu’il prendrait ses précautions pour les carénages, en appui le long d’un quai ; il était comme ça : tout pour le moindre progrès sur la vitesse, quelqu’en soient les inconvénients. Deux ans plus tard, la majorité des nouveaux voiliers adoptaient le système plan mince-bulbe.